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14/09/2010

„Was soll ich länger weilen, daß man mich trieb hinaus?“

Il y a quelques jours, j’ai découvert par hasard sur YouTube des vidéos très intéressantes, qui restituent partiellement (quatre lieder sur vingt-quatre) l’atmosphère de la représentation scénique du Winterreise de Schubert interprété par le baryton allemand Jan Buchwald et mis en scène par Uwe Eric Laufenberg (en novembre 2004, au Hans-Otto-Theater, Potsdam) avec des décors si bien conçus que l’on peut comparer cette représentation à celle d’un (mono-)opéra (1). 

J’ai l’impression qu’il s’agit sans doute d’un voyage d’hiver en pleine guerre d’ex-Yougoslavie pendant les années 1990.  La scène représente la salle de séjour d’une maison partiellement ravagée où s’abrite un jeune homme qui, visiblement très nerveux, une kalachnikov dans les mains, semble s’effrayer de ce qui pourrait lui arriver.  Ce jeune homme peut paraître tantôt un habitant ethniquement isolé dans une agglomération et qui a perdu la chance de se réfugier, tantôt un milicien malgré lui qui vient de déserter son camp.

Cette mise en scène, convaincante à bien des égards, a le mérite de nous permettre de comprendre pourquoi le jeune homme a été contraint de se séparer de la Mädchen qui était sa fiancée et qu’il aime encore.  Il lui a fallu s’en aller parce que son ex-fiancée et les parents de celle-ci, appartenant à un autre groupe ethnique que le sien, se laissaient influencer par l’idéologie identitaire propagée par la presse nationaliste de la capitale de leur « patrie ethnique ».  Il suffit de lui faire traverser le XXe siècle considéré comme « l’Âge des extrêmes » pour mieux comprendre la profondeur du désespoir qu’éprouve un jeune voyageur schubertien qui se dit « fremd ».     

Il faut également remarquer que les images cinématographiques en noir et blanc qui représentent le défilé de la Wehrmacht et les bombes larguées qui tombent sur les villes se projettent sur un rideau blanc qui sert d’écran de projection, tandis que le jeune baryton et le pianiste interprètent le premier lied « Gute Nacht », comme si la marche vers la conflagration mondiale se déroulait suivant l’exécution du lied.  Par ailleurs, on peut s’étonner que le jeune homme désespéré tire sur le sol avec sa kalachnikov en chantant : „Das Mädchen sprach von Liebe, die Mutter gar von Ehe“. 

Bien que peu provocante dans son interprétation musicale (puisque l’on connaît l’ « interprétation composée » de Hans Zender), cette superbe représentation du Winterreise semble susceptible de nous apprendre à « nous étonner des conditions sociales dans lesquelles nous évoluons » et à « découvrir les situations (2)», surtout lorsque la crise financière et économique la plus grave depuis la Grande Dépression des années 1930 semble inciter certains politiciens à « désigner des boucs émissaires (3) ».

 

(1)     http://www.youtube.com/watch?v=lgQyP-B1HCc&feature=re...,

http://www.youtube.com/watch?v=1mgYVzk3G20,

http://www.youtube.com/watch?v=uaBGVlwTs3Q,

http://www.youtube.com/watch?v=CEm6axtP4l0&feature=re...

(2)  Cf. Walter Benjamin, Qu’est-ce que le théâtre épique ?, in Œuvres III, coll. « Folio essais », Gallimard, Paris, 2000, p. 322.

(3)  http://www.liberation.fr/societe/0101652813-les-roms-sont...