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01/09/2011

« L'esprit humain pourra-t-il surmonter ce que l'esprit humain a fait ? »

 

Dans son discours prononcé trois jours avant le référendum sur le nucléaire en Italie, le pape Benoît XVI (dont on ne doit pas sous-estimer le fait qu’il est le co-auteur d’un livre avec Jürgen Habermas) s’est exprimé ainsi : « En dilatant l’aspect relationnel du travail à la planète, la technique imprime à la mondialisation un rythme particulièrement accéléré.  Or, le fondement du dynamisme du progrès revient à l’homme qui travaille, et non à la technique qui n’est qu’une création humaine.  Miser tout sur elle ou croire qu’elle est l’agent exclusif du progrès, ou du bonheur, entraîne une chosification de l’homme qui aboutit à l’aveuglement et au malheur quand celui-ci lui attribue et lui délègue des pouvoirs qu’elle n’a pas.  Il suffit de constater les « dégâts » du progrès et les dangers que fait courir à l’humanité une technique toute-puissante et finalement non maîtrisée.  La technique qui domine l’homme le prive de son humanité (1) ».

Je pense que Hiroshima, Tchernobyl et Fukushima exigent de nous le maintien de l’attitude radicalement critique à l’égard de la science et de la technique.  L’abandon volontaire ou involontaire de cette attitude risque de nous conduire à consentir facilement à ce que les centrales nucléaires les plus dangereuses  (dont l’exploitation a été suspendue) soient remises en activité.

Contrairement à ce que prétendent souvent certains « progressistes », il n’est pas certain que la science et la technique soient « neutres », qu’il ne s’agisse que d’un problème qui consiste simplement dans leur « détournement » par le capital industriel (ou financier) et l’Etat technocratique et qu’il suffise donc de distinguer leur état « normal » de celui « altéré par des facteurs externes » pour les sauver.  La réflexion sur la faisabilité d’une telle distinction me semble moins prioritaire que celle sur le point de savoir ce que veut dire « être neutre ».   Mais au fond, la « neutralité » peut-elle leur procurer un alibi crédible, si tout ce qui sert d’instrument est également « neutre » ?

Par exemple, le fait que le taylorisme fût considéré comme un « management scientifique » ou comme une « organisation scientifique du travail » ne manque pas de nous rappeler que la science et la technique continuent depuis les Lumières (Aufklärung) à servir d’instruments pour rationaliser non seulement la domination et  l’exploitation de la nature par l’homme mais aussi celles de l’homme par l’homme et qu’elles sont ainsi étroitement liées à la raison instrumentale (instrumentale Vernunft) au sens « francfortois » du terme.

Dans la période de l’entre-deux-guerres, Paul Valéry avait posé à ses contemporains la question suivante : « L'esprit humain pourra-t-il surmonter ce que l'esprit humain a fait ? »  Mais aujourd’hui, surtout après Fukushima, nous nous sentons confrontés à une situation encore plus grave, puisque nous sommes contraints de nous demander si les fameux « spécialistes sans esprit (Fachmenschen ohne Geist) » pourront surmonter ce qu’ils refusent de cesser.

Bien sûr, les affaires scientifico-techniques sont des choses trop sérieuses pour les confier à ces « Fachmenschen», aussi bien qu’en matière d’énergie nucléaire que de biotechnologie (ou d’ingénierie financière).  L’orientation fondamentale et la prise de décisions les concernant doivent être elles aussi fondées sur le débat démocratique dans l’espace public (öffentlicher Raum) en tant qu’espace discussionnel.  Cependant, pour que la discussion publique, nécessaire pour interrompre et contrer la transformation catastrophique de l’Aufklärung ou de la raison en une nouvelle forme de mythe ou de barbarie, puisse s’orienter démocratiquement dans la bonne direction, il faut que les citoyens qui doivent y participer sachent se garder de penser d’une manière uniquement « scientifique (ou économique) » et donc unidimensionnelle, sans se laisser bourrer le crâne de connaissances purement « scientifiques (ou économiques) » par un « éclaircissement » globalitaire industriellement organisé, sans oublier que la science n’est qu’un des produits de l’esprit humain, pour prendre prioritairement en considération les préoccupations éthiques, les valeurs humanistes, la responsabilité historique des générations présentes à l’égard de toutes les  générations passées et futures ou l’attention portée sur les arts, la littérature, le folklore, la sagesse populaire, le monde de la vie (Lebenswelt), la contre-culture etc.

 

(1) http://rome-vatican.blogs.la-croix.com/benoit-xvi-un-pape...

 

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