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22/05/2019

Puisqu’un autre système-monde est possible

 

Accablés par les conséquences économiques et sociales de la mondialisation néolibérale (parmi lesquelles il faut souligner notamment le recul des classes moyennes dans les pays développés) depuis plusieurs décennies, un nombre non négligeable de personnes en sont venus à croire, en refusant de regarder la réalité en face, qu’un isolement quelconque de leur pays du reste du monde leur permettrait nécessairement de retrouver leur bien-être perdu.  

Une telle attitude, caractérisée par l’aversion profonde à l’égard de tout ce qui semble inciter à « penser globalement », n’a pas manqué de se traduire par une prise de position politique en contribuant à la montée du populisme national-démondialiste.  Pour ne pas nous laisser séduire par ce type de repli national, il nous semble préférable de nous référer à un point de vue altermondialiste ou internationaliste, puisqu’un autre système-monde « relativement démocratique et égalitaire » est possible.

Dans le monde actuel, les rivalités entre deux ou plusieurs pays ou groupes de pays censés avoir des intérêts opposés peuvent être en réalité moins intenses qu’on ne le croit, même entre les Etats-Unis et la Chine, compte tenu de leur interdépendance, des intérêts communs ou imbriqués de leurs classes dominantes et des activités globalement déployées de leurs institutions financières et de leurs entreprises multinationales, tandis qu’à l’inverse, les rapports antagonistes entre les classes sociales au sein de chaque pays ainsi que la polarisation entre les 1 % les plus riches du monde et les 99 % restants au sein du système-monde ne cessent de s’intensifier.  Par ailleurs, il n’est pas irréaliste de penser que, sinon une partie d’échecs benjaminienne, du moins un bras de fer à l’échelle planétaire se joue entre l’esprit de Davos et l’esprit de Porto Alegre sur l’orientation à prendre dans un des processus de bifurcation les plus critiques de l’histoire, comme le suggère Immanuel Wallerstein.

Si nous nous laissions diviser par le sentiment d’appartenance à un pays, le patriotisme économique et l’idéologie de l’intérêt national (dont se servent couramment les élites néolibérales de nos pays pour nous faire accepter les réformes structurelles ou la politique de l’offre en agitant devant nous l’épouvantail de la dégradation du classement sur la compétitivité mondiale ou sur l’attractivité pour les investisseurs) , totalement mis en concurrence ou, plus précisément, en guerre économique et sociale entre nous, au lieu de nous solidariser mutuellement et internationalement et si, de surcroît, une force politique populiste visiblement douteuse était présentée dans chaque pays comme une alternative éventuelle unique ou principale à la mondialisation néolibérale tout en servant d’exutoire à notre mécontentement, les 1 % les plus riches du monde et le camp de Davos pourraient trouver les circonstances plutôt favorables et en profiter pleinement.  Rien ne nous empêche de supposer une complémentarité ou une complicité apparemment paradoxale entre la mondialisation néolibérale et le populisme national-démondialiste.   

Il nous faut donc résister à toute tentative visant à nous enfermer dans le cadre national et plus particulièrement dans le cadre de l’Etat, qui doit être considéré comme une entité dont les compétences sont délimitées par le principe de subsidiarité.  Il suffit de remarquer qu’il n’est tout simplement pas possible d’affronter à la seule échelle nationale les problèmes rencontrés à l’échelle du système-monde pour en conclure qu’il ne convient plus de maintenir un mode de pensée qui privilégie le cadre national.

L’échelle nationale est une des échelles intermédiaires entre l’échelle globale et l’échelle locale.  Même si elle est loin d’être devenue moins importante, il est toutefois indéniable que la lutte pour un système-monde meilleur que l’actuel nécessite plus que jamais de penser et d’agir également à toutes les autres échelles, qu’elles soient plus grandes ou plus petites que l’échelle nationale, d’autant plus que l’issue de cette lutte qui se déroule entre l’esprit de Davos et l’esprit de Porto Alegre dépend de la réflexion et de l’action de chacun. 

« Nous ignorons qui sortira vainqueur de cette lutte.  Mais ce que nous savons, c’est que dans un monde chaotique, chaque action, chaque instant, chaque réflexion, si infimes soient-ils, en affectent l’issue (1)», comme le souligne Immanuel Wallerstein (non sans nous rappeler les expressions célèbres de Walter Benjamin : « eine schwache messianische Kraft » et « die kleine Pforte »). 

 

(1) Immanuel Wallerstein,  La Gauche Globale, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2017, p. 51.

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