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04/08/2012

Ce que les hommes veulent apprendre de la nature

 

Le fait qu’un individu puisse avoir (ou prendre) connaissance de quelque chose implique nécessairement qu’il adopte un paradigme, un point de vue, une manière de penser, une croyance, un système de représentation plus ou moins idéologique ou une grille de lecture, qu’il en soit conscient ou non.  Il lui arrive souvent d’adopter parmi plusieurs paradigmes ou plusieurs points de vue concurrents celui qui est considéré comme dominant à un moment donné.  Ce choix peut également être déterminé par les intérêts économiques, l’appartenance à tel ou tel groupe social et la position politique de chacun.   

Si les « spécialistes » d’une discipline scientifique donnent généralement l’impression d’être « objectifs » et « neutres », il n’est pas rare qu’ils se donnent sciemment une telle apparence pour justifier quelque chose de difficilement justifiable, tout en sachant qu’elle n’est pas fondée.  Si au contraire ils se considèrent vraiment comme tels, il n’est pas exclu qu’ils soient tout simplement incapables de se rendre compte qu’ils figurent parmi les acteurs directement intéressés (à certaines entreprises ou à certains secteurs) en raison même de leurs activités professionnelles.  

En tout état de cause, on peut dire que ces « spécialistes » adoptent un système de représentation complètement idéologique qui leur permet de dissimuler la réalité et de légitimer les modes d’organisation et de gouvernance des instituts de recherche (qui s’apparentent de plus en plus à ceux des entreprises cotées) et l’ensemble des activités et des pratiques habituelles des chercheurs dans ce cadre institutionnel, y compris la recherche et développement chez les grandes entreprises « qui, maîtresses de larges pans de la science, l’ont transmuée en ‘technoscience’ intégrée à leurs stratégies (1) ».  Par ailleurs, la sociologie des sciences, qui doit avoir pour objet d’étude la vie concrète des communautés scientifiques, ne semble pas prêter suffisamment d’attention à leurs « conditions réelles d’existence». 

Il ne suffit pas de constater que la frontière entre les « recherches fondamentales » et les « recherches appliquées » est en réalité toujours imprécise.  Il convient plutôt de remarquer qu’une telle distinction est désormais presque hypocrite.  Car, aujourd’hui partout dans le monde, les « recherches scientifiques » considérées dans leur ensemble sont effectivement motivées et justifiées par les seules impératifs du maintien (ou du rétablissement) de la compétitivité dans le contexte de la mondialisation.  Certes ces bouleversements manifestement excessifs peuvent paraître non seulement compréhensibles mais aussi acceptables puisque la crise que traverse actuellement l’Europe risque de les favoriser.  Mais il ne semble pas que cela puisse « aller plus loin en se poursuivant ainsi » sans « être la catastrophe ».

Comme le soulignaient déjà Horkheimer et Adorno, „Was die Menschen von der Natur lernen wollen, ist, sie anzuwenden, um sie und die Menschen vollends zu beherrschen.  Nichts anderes gilt (2)“.

Il faut sans cesse réfléchir sur les relations étroites entre la façon dont on connaît un objet et son intérêt téléologiquement rationnel à l’égard de celui-ci.  Ce précepte peut également être valable pour une tentative d’autoréflexion critique (kritische Selbstreflexion).  Or c’est exactement ce que veulent contourner les « spécialistes » en tant que parties prenantes directement intéressés de certaines activités risquées, surtout lorsque ceux qui financent leurs « recherches » s’attendent à ce que ces activités soient rentables du moins pour un certain temps.  Il nous semble donc indispensable de poursuivre dans l’espace public discussionnel une telle remise en cause dont nous souhaitons qu’elle soit radicale et continuelle. 

 

(1) Michel Beaud, Face au pire des mondes, Seuil, Paris, 2011, p. 86.

(2) « Les hommes veulent apprendre de la nature comment l’utiliser, afin de la dominer plus complètement, elle et les hommes.  C’est la seule chose qui compte » (Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La dialectique de la Raison, trad. Éliane Kaufholz, coll. « Tel », Gallimard, Paris, 1983, p. 22).

05/08/2011

Ce que veut dire « aller plus loin en se poursuivant ainsi»

„Der Begriff des Fortschritts ist in der Idee der Katastrophe zu fundieren.  Daß es ‚so weiter’ geht, ist die Katastrophe.  Sie ist nicht das jeweils Bevorstehende, sondern das jeweils Gegebene“.

« Il faut fonder le concept de progrès sur l’idée de catastrophe.  Que les choses continuent à ‘aller ainsi’, voilà la catastrophe.  Ce n’est pas ce qui va advenir, mais l’état de choses donné à chaque instant (1) ».

Cette assertion très célèbre de Walter Benjamin tend aujourd’hui à être citée de plus en plus fréquemment en Europe et ailleurs, qu’il s’agisse de la gestion de la catastrophe nucléaire ou de celle de la crise de la dette souveraine.  

Mais il en existe une variante plus ou moins discutable que je souhaite déconseiller de citer et qui semble malheureusement rester de mise : « Que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe ».

J’éprouve pas mal de difficultés à considérer cette traduction comme pertinente, puisque l’expression « continuer comme avant » ne porte guère sur le concept de progrès (même si elle est susceptible d’évoquer l’idée d’une « longue marche à travers un temps homogène et vide »).  Il ne faut surtout pas oublier que la catastrophe au sens benjaminien du terme est non seulement continuelle mais aussi progressive.

Du moins quant à cette phrase de Benjamin, il me semble préférable de la traduire plus littéralement (ou même plus maladroitement), plutôt que de chercher des expressions moins choquantes qui servent de substituts.  Je souhaite donc proposer la traduction suivante (certes assez maladroite) : « Le fait que des choses comme cela aillent ‘plus loin en se poursuivant ainsi’ est la catastrophe ».

Si nous craignons aujourd’hui encore de porter atteinte au concept de progrès et de compromettre les expressions étroitement liées à ce concept (« aller plus loin » entre autres), il nous faut tout au moins avoir le courage de le remettre en cause pour nous demander dans quelle direction le train de l’histoire continue à « progresser » et à « aller plus loin », tiré par cette redoutable locomotive nommée « libéral-productivisme », avec les marchés financiers qui tiennent lieu de système de contrôle automatique de train.

 

(1)   Walter Benjamin, Zentralpark, in Charles Baudelaire, coll. « Petite Bibliothèque », Payot, Paris, 1982, p. 242.

 

12/11/2010

Ce qui peut faire penser à certains aspects fâcheux du bon vieux temps

J’ai récemment été contraint de changer de PC, suite à la panne définitive causée par la foudre et ayant rendu impossible l’allumage de la machine.  Ce contretemps me semblait à lui seul assez fâcheux.  Mais en réalité, ce n’était qu’un début, eu égard à une série de problèmes que j’allais rencontrer.  Depuis lors, je continue d’éprouver beaucoup de difficultés que je tarderai encore longtemps à surmonter.

J’ai réussi à restaurer toutes les données de la partition pour les Documents de mon ancien PC, mais aucune donnée de celle pour l’OS (qui contenait entre autres les messages, les dossiers et le carnet d’adresses de Mozilla Thunderbird) bien que ces deux partitions fussent sauvegardées, l’une et l’autre, sur un même disque dur externe.  Mais le plus fâcheux des problèmes est sans aucun doute celui de l’incompatibilité de la version 64 bits de l’OS Windows (préinstallée sur le nouveau PC que j’ai acheté sans y réfléchir) puisqu’il est à  l’origine de la plupart des autres problèmes.

En cherchant à utiliser comme avant les logiciels ou les périphériques que je m’habituais à utiliser depuis deux ou trois ans en moyenne et dont la plupart étaient incompatibles avec la version 64 bits de l’OS, j’ai pu télécharger les mises à jour ou les drivers spécifiquement conçus pour les rendre compatibles avec cette version, dans la mesure où les éditeurs ou les fabricants les fournissaient. 

Cependant, force est de constater que pas mal de logiciels et de périphériques, même après de telles mises à jours (gratuites), ne fonctionnent que partiellement sous diverses contraintes, tandis que certains autres programmes, que l’on ne peut même pas démarrer surtout quand aucun support technique en ligne n’est trouvable, ne fonctionnent pas du tout.  Les utilisateurs n’ont alors d’autre choix que d’en acheter les dernières versions payantes et les derniers modèles. 

Certes, une telle constatation est devenue aujourd’hui assez banale.  Par ailleurs, il y a beaucoup d’utilisateurs qui n’hésitent pas à affirmer que les éditeurs de logiciels et les fabricants (de PC ou de périphériques) s’entendent avec Microsoft pour s’assurer l’ « obsolescence programmée ». 

S’il est vrai que les trente glorieuses (considérées généralement comme l’ère du régime d’accumulation fordiste et du nouvel Etat industriel) sont révolues surtout lorsqu’il s’agit de leurs caractéristiques positives, il m’arrive parfois d’avoir l’impression que les rapports de force, les systèmes et les procédés qui ne manquent pas de faire penser à certains aspects fâcheux (et peu écologiques) de cette époque perdurent encore aujourd’hui, de plus en plus sophistiqués, voire renforcés (paradoxalement ?) sous le règne des marchés financiers pendant l’ère du « moindre Etat ».