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21/10/2011

Ce qui importe aujourd’hui par-dessus tout

 „Marx sagt, die Revolutionen sind die Lokomotiven der Weltgeschichte. Aber vielleicht ist dem gänzlich anders. Vielleicht sind die Revolutionen der Griff des in diesem Zuge reisenden Menschengeschlechts nach der Notbremse“.

« Marx avait dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale.  Mais peut-être les choses se présentent-elles tout autrement.  Il se peut que les révolutions soient l'acte par lequel l'humanité qui voyage dans ce train tire le frein d'urgence (1) ».

Déjà avant la crise financière et économique mondiale, il n’était pas rare que plusieurs voyageurs du train de l’histoire eussent le courage de tirer la poignée du dispositif pour activer le signal d’alarme (Notbremse).  Jusqu’à récemment, chaque fois que certains d’entre nous avaient recours à cet acte révolutionnaire, les mécaniciens de locomotive, ainsi que les gestionnaires du système de contrôle automatique de train, l’ignoraient volontairement en désactivant tout de suite le dispositif avant d’en dénoncer les auteurs pour leur faire infliger l’amende.

Mais, surtout après le déclenchement de la crise financière mondiale à l’automne 2008, les auteurs d’un tel acte sont devenus trop nombreux et leur indignation à l’égard du capitalisme financiarisé est trop largement partagée par les citoyens du monde entier pour que la compagnie du chemin de fer de l’économie-monde capitaliste puisse les faire expulser et punir, même s’ils appellent à occuper le centre de son système de contrôle automatique de train.   La « compréhension » à l’égard du mouvement anti-Wall Street (ou du mouvement des indignés synchronisé à l’échelle mondiale) exprimée par quelques-unes des personnalités très influentes qui figurent parmi les maîtres actuels du monde en témoigne éloquemment.  Cependant, du moins pour le moment, il semble difficile d’obtenir des concessions substantielles de la part de ces derniers, puisqu’ils sont loin d’avoir réussi à se rappeler qu’il convient de « tout changer pour que rien ne change ».  En d’autres termes, il semble peu plausible qu’ils soient disposés à accepter la refondation du régime d’accumulation sur un compromis institutionnel digne de ce nom pour le rendre à nouveau viable.

En tout état de cause, ce qui importe aujourd’hui par-dessus tout, c’est que les voyageurs les plus courageux du train de l’histoire, qui se sont élevés contre le système-monde moderne, font tous leurs efforts pour stopper ce train qui continue à rouler à toute vitesse sur la voie menant tout droit au précipice, tandis que les dirigeants de la zone euro, de l’Union européenne ou du G 20 « discutent » en poursuivant les tractations à huis clos pour trouver une solution « susceptible de convaincre les investisseurs » à la crise dite « souveraine » ou « européenne » sous la pression des marchés financiers qui « s’inquiètent » de leur capacité à gérer la crise comme si ceux-ci se comportaient, avec les agences de notation, en arbitres neutres, entièrement dispensés de se reconnaître responsables de la crise qu’ils ont provoquée il y a trois ans, comme si la spéculation à la hausse sur les tulipes très évoluées avant l’éclatement des bulles et celle à la baisse sur les dettes souveraines ou sur les actions des banques européennes dans la phase récente de la crise devaient être considérées comme bienfaisantes.

La restructuration des dettes souveraines implique l’augmentation de la décote « demandée » aux créanciers privés, laquelle nécessite davantage de fonds pour recapitaliser les banques européennes, ce qui exige le renforcement du FESF.  On peut avoir l’impression d’assister à la représentation d’une pièce classée dans le théâtre de l’absurde plutôt qu’à celle d’une « tragédie grecque », si bien qu’un certain nombre de citoyens européens semblent ne plus hésiter à prétendre en paraphrasant Sartre que « l’enfer, ce n’est pas seulement l’union monétaire à l’état actuel, mais aussi l’Europe elle-même ».  Mais en réalité, ce qui est l’enfer, c’est, entre autres, la financiarisation de l’économie, la pression incessante des marchés, la prophétie auto-réalisatrice des agences de notation, le comportement des banques d’investissement et des fonds spéculatifs, les ventes à découvert et les CDS.  J’estime instructif de consulter l’économiste  Jacques Généreux : « Plus fondamentalement, la crise de la zone euro – indissociable de la crise financière internationale ouverte en 2008 – est un sous-produit du développement du capitalisme financiarisé, c'est-à-dire des pleins pouvoirs donnés aux gestionnaires de capitaux pour imposer leur volonté aux entreprises comme aux salariés, pour développer n’importe quel type de spéculation, pour bouleverser la répartition des revenus au seul avantage des plus riches (2) ».  Il est temps de « s’affranchir de l’eurolibéralisme sans sortir de l’Union européenne » comme le propose Jacques Généreux. 

 

(1) Walter Benjamin, Gesammelte Schriften, Bd. I, 3, Suhrkamp, Frankfurt, 1977, p. 1232 ;  cité et traduit par Michael Löwy à la fin (p. 24) de sa préface à un recueil de textes choisis de Benjamin intitulé Romantisme et critique de la civilisation (Payot, Paris, 2010). 

(2) Jacques Généreux, Nous on peut !, Seuil, Paris, 2011, pp. 119-120.

 


23/08/2010

Ce que signifie la stratégie allemande étendue à l’Europe

Depuis le 23 juillet dernier, les ministres et les banquiers centraux de la zone euro semblent se comporter comme s’ils croyaient que les données et les arguments ne leur manqueraient pas pour se montrer optimistes. En s’en félicitant, ils ont pu évoquer entre autres l’apaisement de la crise de la dette souveraine des pays « périphériques », les résultats des tests de résistance qui « ont montré de façon évidente que le paysage bancaire européen était suffisamment robuste » selon Jean-Claude Juncker, la situation qui « se normalise » sur le marché interbancaire et la dissipation de la crainte de voir les banques durcir considérablement leurs conditions d’octroi de crédits aux entreprises et aux ménages, avant même que l’on ne constatât la croissance du PIB meilleure que prévu au deuxième trimestre.

Même si, du moins pour le moment, les mauvais indicateurs qui, venant d’Outre-Atlantique ou d’ailleurs, témoignent du ralentissement de la reprise mondiale ont pu dissuader la BCE d’entreprendre prématurément une « stratégie de sortie », les gouvernements européens semblent toutefois rester déterminés à « poursuivre » leurs plans d’austérité dont tout le monde sait d’avance qu’ils ne manqueront pas de peser tant sur la reprise de l’économie européenne que sur celle de l’économie mondiale. Par ailleurs, il est assez facile de relativiser les bons chiffres de la croissance européenne obtenus au deuxième trimestre, puisqu’ils résultent principalement du rebond des exportations allemandes qui dépendent de la reprise mondiale et qui risquent donc de suivre fidèlement le ralentissement de celle-ci.

Certes, les pays du noyau dur de la zone euro peuvent prétendre que leurs perspectives sur la demande privée sont relativement bonnes, dans la mesure où ils se sentent à l’échelle nationale moins obligés de compenser le désendettement des entreprises et des ménages que les Etats-Unis. Cependant, si l’on tient compte de leurs déficits budgétaires et de leurs dettes publiques qui sont également moins graves que ceux de la plupart de leurs partenaires et qui leur laissent encore certaines marges de manœuvre qu’il faut envisager à l’échelle communautaire ou mondiale, leur attitude peut paraître plutôt égoïste et injustifiable surtout lorsqu’ils accordent une priorité excessive à leur propre stratégie d’assainissement budgétaire « à moyen terme ».

Comme l’affirme Jean-Paul Fitoussi, la politique budgétaire restrictive n’est pas « ce que l’on peut appeler une politique coopérative », puisque « ce type de politique ne peut […] réussir que si un seul grand pays s’y aventure (avec le consentement improbable des autres) – ou si elle n’implique qu’un nombre réduit de petits pays (1)». Il ne semble pas souhaitable que la stratégie allemande s’étende à l’Europe tout entière.

 

(1) http://www.marianne2.fr/La-rigueur-c-est-le-protectionnis...

 

01/07/2010

Ce qui est sous-jacent à la crise budgétaire

Même si la crise budgétaire doit paraître résulter de l’échec de l’Etat, il ne convient pas d’oublier que c’est celui du marché qui y est le plus souvent sous-jacent.  Cela veut dire qu’il n’est pas rare que les Etats (autorités) laissent les marchés financiers (banques d’investissement, fonds spéculatifs) prendre énormément de risques et qu’ils ne puissent pas réagir adéquatement aux crises financières et économiques que ceux-ci ont provoquées.

Même dans une époque où prédomine l’idéologie libérale qui dicte aux simples citoyens qu’il ne faudrait pas compter sur l’Etat, les grands échecs des marchés, dont la crise des subprimes, finissent toujours par exiger le sauvetage des banques (ou parfois de certaines autres institutions financières) qui détiennent trop d’actifs toxiques, avec autant de fonds publics.  Dès lors que la crise financière ou celle du système de crédit entraînent la crise économique généralisée et que la politique monétaire est loin de pouvoir résoudre à elle seule tous les problèmes, les gouvernements sont contraints de soutenir la conjoncture par la politique budgétaire.  Les mesures de relance ainsi prises, de même que la baisse des recettes fiscales due à la récession, ne peuvent qu’aggraver la situation budgétaire.  Il conviendrait que ces mesures  réussissent et permettent de consolider la reprise pour effectuer en douceur la transition vers une croissance autoalimentée tirée par la demande privée.  Mais dans la mesure où la reprise, qui dépend essentiellement de ces mesures, reste encore fragile dans la plupart des pays développés, on ne peut pas s’attendre à une remontée des recettes fiscales.  Même si les gouvernements ont commis plusieurs erreurs jusqu’ici, ils risquent d’en commettre davantage encore, dans le cas où, reculant devant l’aggravation de leur déficit budgétaire et de leur dette respectifs, puis effrayés par la crise grecque et celle de l’euro, ils commenceraient à se précipiter dans la même direction après avoir viré en même temps vers le redressement budgétaire accompagné d’une série de mesures d’austérité malgré la fragilité flagrante de la reprise mondiale.  Il est très difficile de concevoir « des mesures de consolidation budgétaire favorables à la croissance », que le G20 prétend toutefois « poursuivre » tout en admettant qu’ « il est possible que des ajustements budgétaires menés simultanément dans plusieurs grandes économies nuisent à la reprise ».  S’il convient d’ « adopter des politiques différentes qui tiennent compte des circonstances nationales », il n’est pas exclu que le G20 n’atteigne ni l’un ni l’autre de ses deux objectifs principaux qui semblent presque contradictoires, compte tenu du rétrécissement de la marge de manœuvre laissée à chaque pays.

Il est malheureusement probable que les citoyens finissent par éprouver une grande défiance à l’égard même du rôle économique de l’Etat, si de tels échecs se répètent encore à plusieurs reprises.  Cependant, l’indignation de l’opinion publique à l’égard des marchés et des établissements financiers reste heureusement assez grande dans le monde entier et c’est principalement avec cette indignation légitime que se synchronise (ou interagit) aujourd’hui celle à l’égard des pouvoirs exécutif et législatif à l’échelle nationale ou supranationale, si bien que l’on peut s’attendre à une certaine évolution progressive à l’échelle européenne ou mondiale concernant le renforcement de la régulation financière et l’introduction d’une taxe sur les banques.